L’association des anciens élèves et l’amicale José Blanc ont organisé le 1er avril 2022 une cérémonie d’hommage à deux professeurs, récemment disparus, qui ont marqué durablement plusieurs générations d’élèves du lycée : José Blanc, professeur de lettres à Pasteur pendant 24 ans, révélateur de talents et guide charismatique, et François Fédier, professeur de philosophie à Pasteur pendant 35 ans, incomparable éveilleur de pensée.
Monsieur Jean-Michel Blanquer et monsieur Jean-Christophe Fromentin, maire de Neuilly, nous ont honoré de leur présence.
Nous publions ici quelques-uns des nombreux témoignages qui ont été présentés au cours de cette cérémonie, à l’issue de laquelle deux salles du lycée ont été baptisées du nom de ces professeurs remarquables. Le centre de documentation porte désormais le nom de José Blanc et la salle de conférences devient la salle François Fédier.
Frédéric BLANCPAIN – Président AAELP
Hommage au Professeur José Blanc
par Maud Blanc, épouse de José Blanc, professeur agrégé d’histoire au lycée Pasteur de 1971 à 2006
Monsieur le Ministre, Monsieur le Maire, Monsieur le Proviseur, chers amis, chers anciens élèves, cher François Fédier, cher José,
C’est avec beaucoup d’émotion que je reviens ce soir au lycée Pasteur après 16 ans d’absence, dans ce lycée qui a totalement déterminé à la fois ma vie professionnelle et ma vie personnelle : Ma vie professionnelle puisque j’y suis arrivée de ma Bretagne natale à l’âge de 25 ans et j’ai souhaité y rester jusqu’à la retraite, y étant, somme toute, très heureuse.
Ma vie personnelle puisque c’est ici que j’ai rencontré les deux hommes qui ont compté le plus dans ma vie, mon mari, José Blanc, dont nous honorons ce soir la mémoire, et, plus étrangement, mon propre père, un père inconnu qui en 1997, au soir de sa vie, m’a fait un signe en faisant écrire une lettre au Proviseur du lycée. De cette lettre José et moi nous avons fait en 2011 un livre intitulé « Le dernier cours d’histoire », un dernier cours qui a bien eu lieu ici, au lycée Pasteur en juin 2006. Sur la couverture de cet ouvrage nous avons placé la photo du lycée Pasteur, ce lycée sans lequel rien n’eut été possible de cette histoire.
Quand ai-je entendu parler du professeur José Blanc pour la première fois ?
C’était en 1971. Je venais d’arriver à Pasteur et je partageais avec lui, sans le savoir, une classe de 6e– Je précise que José a enseigné dans toutes les classes, de la 6 à La Terminale puis en classes préparatoires, sup, spé et HEC- Nous étions à la veille des vacances de Noël, et la déléguée de classe est venue me voir pour me demander l’autorisation de faire une quête afin d’acheter un cadeau à un professeur, « Monsieur Blanc, notre professeur principal, c’est un très bon professeur, on l’admire et on l’aime aussi beaucoup ». Par ces mots, cette petite fille définissait, sans le savoir, l’alliance des deux sentiments qu’inspirent les professeurs d’exception, le respect et aussi l’affection qui va se nouer peu à peu au cours de l’année scolaire et sera verbalisée en fin d’ année quand les délégués de classe vous demanderont d’une voix émue : « Madame ou Monsieur, vous aura- t – on comme professeur l’an prochain » .
J’ai voulu alors savoir qui était ce Monsieur Blanc, ce qu’était un bon professeur, moi qui n’avais aucune expérience professionnelle et qui avait tout à apprendre du métier. Je l’ai côtoyé durant 5 ans comme un simple collègue. Ce qui signifie que la cristallisation amoureuse décrite par l’écrivain Stendhal dans son livre de L’Amour, fut, pour nous, fort longue, cinq ans, et a été suivie d’un coup de foudre brutal, ici, au Lycée Pasteur, au sortir d’un conseil de classe en salle 205. Les conseils de classe ne sont pas obligatoirement austères comme on l’imagine souvent…
Nous nous sommes mariés en 1979, mariage qui étonné nos collègues car nous avions une importante différence d’âge : 20 ans nous séparaient, j’avais 33 ans, il en avait 53.
Nous avons cheminé ensemble durant 42 ans, résidant à Neuilly, ville dont nous apprécions la qualité de vie, puis il m’a quittée il y a cinq mois, ayant conservé ses facultés physiques et intellectuelles intactes malgré ses 95 ans, apportant un démenti à la phrase du Général de Gaulle « La vieillesse est un naufrage ». Non, la vieillesse de mon mari ne fut pas un naufrage.
Dans ce moment de deuil, j’ai alors eu une chance, rare et même exceptionnelle, celle d’être accompagnée par certains anciens élèves de mon mari, Philippe -Pierre Dornier, Frank Tapiro, Jean- David Blanc, Philippe Karsenty, Nicolas Wallack, David Foult, Arthur Gerbi ( représenté par sa sœur Marine). Ils sont tous, ici, ce soir, et je les salue affectueusement. Et c’est de cet accompagnement dont je voudrais témoigner maintenant car il illustre parfaitement ce lien de respect et d’affection qui devrait unir idéalement les élèves à leur ancien professeur.
Tout d’abord ils furent présents à mes côtés dans la chambre mortuaire pour dire à José un dernier adieu, puis ils m’ont accompagnée en Savoie dans le petit village de montagne dont il est natif, fils d’un simple berger de la Tarentaise, assistant à cérémonie à l’Eglise, et me demandant au cimetière, comme un honneur, de porter en terre le cercueil de leur ancien professeur. Mon mari repose désormais là- haut, face au glacier de la Vanoise. Que souhaiter de mieux pour dernière demeure à quelqu’un qui restait avant tout un montagnard, un alpiniste, un skieur brillant et durant les vacances scolaires d’hiver, un moniteur qui enseignait le ski avec la même passion avec laquelle il enseignait la littérature à Pasteur.
Ensuite, des parents d’élèves, Georges Levy, Laurence Addi- Allouche, m’ont proposé d’organiser dans une synagogue, conformément à la tradition juive, une cérémonie un mois après la disparition de José. J’ai accepté et elle a eu lieu à la synagogue de Copernic, atypique, émouvante, le rabbin Philippe Haddad y officiant. Si j’ai accepté, alors que mon mari n’est pas juif mais catholique, c’est que cette cérémonie est conforme à nos engagements spirituels, puisqu’il était membre de l’Amitié Judéo- Chrétienne de France, dont je suis moi- même la présidente pour Paris- Ouest. Cette association avait été fondée en 1948 par un professeur de l’Education Nationale, Jules Isaac, elle a fait un travail remarquable pour le rapprochement entre Judaïsme et Christianisme, ce qui rend possible aujourd’hui ce type de cérémonie. Mireille Hadas – Lebel, sa vice présidente et historienne de renom est parmi nous. Je la salue respectueusement.
Enfin, les anciens élèves de José ont formé le Cercle de Professeurs disparus en écho au film Le Cercle des Poètes disparus. Ils ont voulu que le nom de José Blanc soit associé définitivement au Lycée Pasteur et que le Centre d’Information et de Documentation prenne son nom. Et grâce à Monsieur le Proviseur Carbajo et à l’Association des Anciens élèves de Pasteur que je remercie chaleureusement, ce projet se concrétise ce soir , permettant à deux professeurs d’exception, François Fédier et José Blanc, aux personnalités si différentes mais partageant la même volonté de transmettre et le même talent au service de la transmission, d’être ainsi honorés comme ils le méritent- Ainsi, la salle de conférence portera le nom de François Fédier-
Je me suis souvent demandé d’où venait la passion exceptionnelle qui animait mon mari quand il enseignait. Je crois avoir trouvé la réponse : enfant de milieu modeste, José devait tout à l’école de la République qui lui avait fait découvrir l’instruction, les livres, une dimension fondamentale de la vie. Et en transmettant à son tour le savoir il voulait rendre à la République ce qu’elle lui avait donné.
J’aurais dû maintenant donner la parole à Maître Michèle Cahen du Barreau de Paris. Mais elle a le Covid. Aussi, elle m’a chargée de lire son hommage à José. Pourquoi l’intervention ici, dans ce lieu consacré à l’Education, du Barreau de Paris ? Voici l’explication : José à sa retraite avait fait des études de droit avec une grande humilité face à un nouveau savoir juridique : il avait passé un Deug de droit, une licence de droit ,une maîtrise de droit, un DEA de philosophie du droit, puis le concours d’entrée à l’ école du Barreau de Paris. A l’âge de 78 ans il avait prêté serment au Palais de justice de Paris, cas exceptionnel en France, et cela en présence de deux de ses anciens élèves, Jean- David Blanc et Charles Allaume qui faisaient ainsi le lien entre les deux parties de sa vie professionnelle. Puis, il était devenu le collaborateur de Maître Michèle Cahen.
Monsieur le Ministre, Monsieur le Maire, je vous remercie d’avoir bien voulu honorer de votre présence cette cérémonie. Chers amis de Paris, chers amis de Neuilly, chers amis de Bretagne et de Savoie, je vous remercie de m’entourer de votre affection.
Hommage au Professeur François Fédier
par Robert Bensimon, ancien élève
Si j’étais vraiment digne de ce vers quoi nous a guidés François Fédier, digne de ce qu’il nous a appris à repérer, à aimer et à atteindre, si j’étais à la hauteur, ici, aujourd’hui, ces quelques mots que je vais dire / – et que lui me permet de trouver par delà la mort -/ ces quelques mots devraient avoir le pouvoir de secouer nos vies, de leur redonner même un élan initial, un souffle, -vital-, neuf.
Car, pour moi, penser précisément à lui, se remémorer ce qu’était sa situation face à nous, ses élèves, c’est immédiatement se retrouver aux prises avec le deuxième terme de la devise de la République française. Et là, cela commence, philosophiquement à …travailler, c’est-à-dire : faire jouer ensemble toutes les pièces du jeu humain.
D’emblée, lui, le si savant, « Fédier », l’homme à l’esprit si riche, se mettant à notre écoute, nous faisait comprendre et sentir à quel point nous sommes égaux devant ce qui est à penser, égaux au regard de tout ce qui nous dépasse, au regard de tout ce qui nous échappe,
EGAUX, NOUS — pas seulement lui, vous et moi, mais chacun d’entre nous en tant qu’être humain.
Très vite il nous faisait découvrir qu’être humain n’est qu’en apparence un état, que c’est bien au contraire le mouvement d’un devenir incessant, le nôtre et une assignation à.
Assignés à résidence, dit-on le plus souvent.
Assignés à être, nous dit-il, lui. Etre. Etre là. Etre le là. Pour le dire en allemand : le dasein.
Ceux qui sont familiers de ce moment de la pensée de l’histoire du monde, s’y retrouvent ; et lisent en filigrane quelque chemin de penser de Martin Heidegger.
Aux autres, je dirai simplement qu’il s’agit là d’ouverture.
Cette ouverture dans laquelle s’aventure le peintre Paul Cézanne quand il dit chercher dans ses toiles à faire « se joindre les mains errantes du paysage ». Cette ouverture qui caractérise le regard, cette ouverture qui signait et signe encore la présence au monde de François Fédier.
J’étais tellement, adolescent, propulsé par l’exemple de cet homme dans l’appel de tous les possibles les plus harmonieux, que je voulus à toute force partager cette chance avec tous les êtres qui m’étaient chers. C’est ainsi que mes condisciples d’Hypo-Khâgne virent s’asseoir parmi eux, pendant deux mois, dans une salle de classe du deuxième étage de « Pasteur », au même pupitre que moi, tout à côté donc, une tragédienne, sociétaire de la Comédie Française qui avait, au cinéma, été la partenaire de Harry Baur, Eric von Stroheim, Pierre Blanchar ou Jean Gabin.
Pendant ces deux mois, Annie Ducaux qui jouait dans le même temps le soir à l’Odéon le rôle-titre écrasant de « La folle de Chaillot » de Jean Giraudoux, était – et certains matins à huit heures – « non pas en rang » certes, mais bien dans le couloir, devant la salle où devait se tenir le cours de philo qui, à ce moment-là, chance ! portait sur l’Art.
J’ai, par la suite, moi-même, beaucoup joué devant toutes sortes de publics. Et toutes les fois qu’ils pouvaient, lui et Monique, son épouse, étaient là, dans l’assistance.
Fédier dans la salle, c’était, soudain, jouer en pleine lumière et sur les sommets.
« Et quelles miroitantes oreilles » écrit, à la fin d’un de ses poèmes, René Char.
La vie de François Fédier, son endurant travail et ses publications sont là pour, durablement, éclairer nos vies et celles de ceux qui nous succéderont.
Or, cette confiance dans les capacités et dans les lumières de l’esprit humain, est-ce qu’elle n’est pas renouvelable ? Partager et faire rayonner cette confiance-là, quelle chance, quel bonheur et quel salutaire risque que cela nous soit donné.
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