Évènements & Activités

Hommage aux professeurs José Blanc et François Fédier

18 Mai 2022 | Évènements

L’association des anciens élèves et l’amicale José Blanc ont organisé le 1er avril 2022 une cérémonie d’hommage à deux professeurs, récemment disparus, qui ont marqué durablement plusieurs générations d’élèves du lycée : José Blanc, professeur de lettres à Pasteur pendant 24 ans, révélateur de talents et guide charismatique, et François Fédier, professeur de philosophie à Pasteur pendant 35 ans, incomparable  éveilleur de pensée.

               Monsieur Jean-Michel Blanquer et monsieur Jean-Christophe Fromentin, maire de Neuilly, nous ont honoré de leur présence.

Nous publions ici quelques-uns des nombreux témoignages qui ont été présentés au cours de cette cérémonie, à l’issue de laquelle deux salles du lycée ont été baptisées du nom de ces professeurs remarquables. Le centre de documentation porte désormais le nom de José Blanc et la salle de conférences devient la salle François Fédier.

Frédéric BLANCPAIN – Président AAELP

Hommage au Professeur José Blanc

par  Maud Blanc, épouse de José Blanc,  professeur agrégé d’histoire au lycée Pasteur de 1971 à 2006

Monsieur le Ministre, Monsieur le Maire, Monsieur le Proviseur,  chers amis, chers anciens élèves, cher François Fédier, cher José,

C’est avec beaucoup d’émotion que je  reviens  ce soir  au lycée  Pasteur après 16 ans d’absence, dans  ce   lycée qui   a totalement déterminé à la fois ma vie professionnelle et ma vie personnelle :  Ma vie professionnelle puisque j’y suis  arrivée  de ma Bretagne natale à  l’âge de 25 ans et j’ai souhaité  y  rester jusqu’à la retraite,  y étant, somme toute, très heureuse.  

Ma  vie personnelle puisque c’est ici que j’ai rencontré les deux hommes qui ont compté le plus dans ma vie, mon mari, José Blanc, dont nous honorons ce soir la mémoire, et, plus étrangement, mon propre père, un père inconnu qui en 1997,  au soir  de sa vie,   m’a fait  un signe  en faisant écrire une lettre au Proviseur  du lycée. De cette lettre José et moi  nous avons fait en 2011  un livre intitulé   «  Le dernier cours d’histoire », un dernier  cours qui a bien  eu lieu ici, au lycée Pasteur  en juin 2006.  Sur la  couverture de cet ouvrage  nous  avons placé  la photo du lycée Pasteur, ce lycée sans lequel  rien n’eut été possible de cette histoire.

  Quand ai-je entendu parler du professeur  José Blanc pour la première fois ?

C’était en  1971. Je  venais d’arriver à Pasteur  et je partageais avec lui,  sans le savoir,  une classe de 6e– Je précise que José  a  enseigné  dans toutes les classes, de la 6 à La  Terminale puis en classes préparatoires, sup, spé et HEC-  Nous étions à la veille des vacances de Noël, et la déléguée de classe est venue me voir pour me demander l’autorisation de faire une quête afin d’acheter un cadeau à un professeur,  «  Monsieur Blanc, notre  professeur principal, c’est un très bon professeur,  on  l’admire et on l’aime aussi beaucoup ». Par ces mots, cette petite fille  définissait, sans le savoir,  l’alliance des deux sentiments qu’inspirent les professeurs d’exception, le respect et aussi  l’affection  qui va  se nouer peu à peu au cours de l’année scolaire  et  sera  verbalisée   en fin d’  année quand  les délégués de classe vous  demanderont d’une voix émue :  «  Madame ou Monsieur,  vous aura- t – on comme professeur l’an prochain » .  

J’ai voulu alors savoir qui était ce Monsieur Blanc, ce qu’était un bon  professeur, moi qui n’avais aucune expérience professionnelle   et qui  avait tout à apprendre du métier.  Je l’ai  côtoyé durant 5 ans comme un simple collègue.  Ce qui   signifie  que la  cristallisation amoureuse décrite par l’écrivain  Stendhal dans son livre de L’Amour,   fut, pour nous,  fort longue,  cinq ans,  et    a été suivie d’un coup de foudre brutal,  ici, au Lycée Pasteur, au sortir d’un conseil de classe en salle 205. Les conseils de classe ne sont pas obligatoirement  austères  comme on  l’imagine souvent…  

Nous nous sommes mariés en 1979, mariage qui étonné nos collègues car nous avions une importante  différence d’âge : 20 ans nous séparaient,  j’avais 33 ans, il en avait  53.  

Nous avons cheminé ensemble durant 42 ans, résidant à Neuilly, ville dont nous apprécions la qualité de vie, puis  il m’a quittée  il  y a cinq mois,  ayant conservé  ses facultés physiques et intellectuelles intactes malgré ses 95  ans, apportant un démenti à la phrase du Général de  Gaulle   « La vieillesse est  un naufrage ». Non,  la vieillesse de mon mari ne fut pas un naufrage.    

  Dans ce moment de deuil,  j’ai alors eu une chance, rare et même exceptionnelle,  celle d’être accompagnée par certains anciens élèves de mon mari,   Philippe -Pierre Dornier, Frank Tapiro, Jean- David Blanc, Philippe Karsenty,  Nicolas Wallack,  David Foult, Arthur Gerbi ( représenté par sa sœur Marine).   Ils sont tous, ici, ce soir,  et je les salue affectueusement.  Et c’est de cet accompagnement dont je voudrais témoigner  maintenant  car il  illustre parfaitement ce lien de respect et  d’affection qui  devrait  unir idéalement les élèves  à leur ancien  professeur.   

  Tout d’abord ils  furent  présents à mes côtés dans  la chambre mortuaire pour dire à José un dernier adieu,  puis  ils m’ont accompagnée  en Savoie  dans le petit village de montagne dont il est natif, fils d’un simple berger de la Tarentaise, assistant à cérémonie  à l’Eglise, et me demandant    au cimetière,  comme un honneur,  de porter en terre  le cercueil de leur ancien professeur.   Mon mari repose désormais là-  haut,  face au glacier  de la  Vanoise.   Que souhaiter de mieux pour  dernière demeure à  quelqu’un qui restait avant tout un montagnard,  un alpiniste, un skieur brillant  et   durant les vacances scolaires d’hiver,  un moniteur qui  enseignait le ski  avec la même passion avec laquelle il enseignait la littérature à Pasteur.   

Ensuite,  des parents  d’élèves, Georges Levy, Laurence Addi- Allouche,  m’ont proposé d’organiser dans une synagogue, conformément à la tradition juive,  une cérémonie un mois après la disparition de José.  J’ai accepté  et  elle  a eu lieu  à la synagogue de Copernic, atypique, émouvante,   le rabbin Philippe Haddad  y officiant. Si  j’ai accepté, alors que mon mari  n’est pas juif mais catholique, c’est que cette cérémonie  est conforme à nos engagements spirituels, puisqu’il était  membre de l’Amitié Judéo- Chrétienne de France,  dont  je suis moi- même la  présidente  pour Paris- Ouest. Cette  association avait été   fondée en 1948  par un professeur de l’Education Nationale,  Jules Isaac,  elle  a fait un travail remarquable pour le rapprochement entre Judaïsme et Christianisme, ce  qui rend possible aujourd’hui  ce type de cérémonie.  Mireille Hadas – Lebel, sa vice présidente et historienne de renom est parmi nous. Je la salue respectueusement.    

Enfin, les anciens élèves de José  ont formé le Cercle de Professeurs disparus  en écho au film Le Cercle des Poètes disparus.   Ils  ont voulu  que  le nom  de José Blanc soit associé définitivement  au Lycée  Pasteur et  que le Centre  d’Information et de Documentation  prenne son nom.  Et grâce  à  Monsieur le Proviseur Carbajo et à l’Association des Anciens élèves  de Pasteur que je remercie chaleureusement, ce   projet  se concrétise ce soir , permettant à  deux professeurs  d’exception, François Fédier et José Blanc,  aux personnalités si différentes  mais  partageant  la même  volonté de transmettre et le même talent au service de la transmission, d’être  ainsi honorés comme ils le méritent- Ainsi,  la salle de conférence portera le nom de François Fédier-     

  Je me suis souvent demandé d’où venait la passion exceptionnelle  qui animait mon mari quand il enseignait.   Je crois avoir trouvé la réponse : enfant de milieu modeste, José  devait tout à l’école de la République qui lui avait fait  découvrir  l’instruction, les livres, une dimension fondamentale de la vie. Et  en transmettant à son tour le savoir il voulait rendre à la République ce qu’elle lui avait  donné.       

J’aurais dû maintenant  donner  la parole à Maître Michèle Cahen du Barreau de Paris. Mais elle a le Covid. Aussi, elle m’a chargée de  lire  son hommage à José. Pourquoi l’intervention   ici, dans ce lieu consacré à l’Education,  du Barreau de Paris ? Voici l’explication : José à sa retraite avait  fait des études de droit avec une grande humilité face à un  nouveau savoir juridique : il avait passé un   Deug de droit,  une  licence de droit ,une  maîtrise de droit,  un  DEA de philosophie du droit,  puis le concours d’entrée à  l’ école du Barreau de Paris. A l’âge de 78 ans  il avait prêté serment  au Palais de justice de Paris, cas exceptionnel en France, et cela  en présence de deux de ses anciens élèves,  Jean- David Blanc  et Charles Allaume qui faisaient ainsi  le lien entre les deux parties de sa vie professionnelle. Puis, il était  devenu le collaborateur de Maître Michèle Cahen.  

Monsieur le Ministre, Monsieur le Maire, je vous remercie d’avoir bien voulu honorer de votre présence cette cérémonie.  Chers amis de Paris, chers amis  de Neuilly, chers amis  de Bretagne et de Savoie, je vous remercie  de m’entourer de votre affection.

Hommage au Professeur François Fédier

par  Robert Bensimon, ancien élève

               Si j’étais vraiment digne de ce vers quoi nous a guidés François Fédier, digne de ce qu’il nous a appris à repérer, à aimer et à atteindre, si j’étais à la hauteur, ici, aujourd’hui, ces quelques mots que je vais dire / – et que lui me permet de trouver par delà la mort -/ ces quelques mots devraient avoir le pouvoir de secouer nos vies, de leur redonner même un élan initial, un souffle, -vital-, neuf.

               Car, pour moi,  penser précisément à lui, se remémorer ce qu’était sa situation face à nous, ses élèves, c’est immédiatement se retrouver aux prises avec le deuxième terme de la devise de la République française. Et là, cela commence, philosophiquement à …travailler, c’est-à-dire : faire jouer ensemble toutes les pièces du jeu humain.

               D’emblée, lui, le si savant, « Fédier », l’homme à l’esprit si riche, se mettant à notre écoute, nous faisait comprendre et sentir à quel point nous sommes égaux devant ce qui est à penser, égaux au regard de tout ce qui nous dépasse, au regard de tout ce qui nous échappe,

EGAUX, NOUS — pas seulement lui, vous et moi, mais chacun d’entre nous en tant qu’être humain.

Très vite il nous faisait découvrir qu’être humain n’est qu’en apparence un état, que c’est bien au contraire le mouvement d’un devenir incessant, le nôtre  et une assignation à.

 Assignés à résidence, dit-on le plus souvent. 

Assignés à être, nous dit-il, lui. Etre. Etre là. Etre le là. Pour le dire en allemand : le dasein.

Ceux qui sont familiers de ce moment de la pensée de l’histoire du monde, s’y retrouvent ; et lisent en filigrane quelque chemin de penser de Martin Heidegger.

Aux autres, je dirai simplement qu’il s’agit là d’ouverture.

Cette ouverture dans laquelle s’aventure le peintre Paul Cézanne quand il dit chercher dans ses toiles à faire « se joindre les mains errantes du paysage ». Cette ouverture qui caractérise le regard, cette ouverture qui signait et signe encore la présence au monde de François Fédier.

               J’étais tellement, adolescent, propulsé par l’exemple de cet homme dans l’appel de tous les possibles les plus harmonieux, que je voulus à toute force partager cette chance avec tous les êtres qui m’étaient chers. C’est ainsi que mes condisciples d’Hypo-Khâgne virent s’asseoir parmi eux, pendant deux mois, dans une salle de classe du deuxième étage de « Pasteur », au même pupitre que moi, tout à côté donc, une tragédienne, sociétaire de la Comédie Française qui avait, au cinéma, été la partenaire de Harry Baur, Eric von Stroheim, Pierre Blanchar ou Jean Gabin.

Pendant ces deux mois, Annie Ducaux qui jouait dans le même temps le soir à l’Odéon le rôle-titre écrasant de « La folle de Chaillot » de Jean Giraudoux, était – et certains matins à huit heures – « non pas en rang » certes, mais bien dans le couloir, devant la salle où devait se tenir le cours de philo qui, à ce moment-là, chance ! portait sur l’Art.  

J’ai, par la suite, moi-même, beaucoup joué devant toutes sortes de publics. Et toutes les fois qu’ils pouvaient, lui et Monique, son épouse, étaient là, dans l’assistance.

Fédier dans la salle, c’était, soudain, jouer en pleine lumière et sur les sommets.

               « Et quelles miroitantes oreilles » écrit, à la fin d’un de ses poèmes, René Char.

               La vie de François Fédier, son endurant travail et ses publications sont là pour, durablement, éclairer nos vies et celles de ceux qui nous succéderont.

               Or, cette confiance dans les capacités et dans les lumières de l’esprit humain, est-ce qu’elle n’est pas  renouvelable ?                Partager et faire rayonner cette confiance-là, quelle chance, quel bonheur et quel salutaire risque que cela nous soit donné.

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