CENTENAIRE DE L’ASSOCIATION DES ANCIENS ELEVES
DU LYCEE PASTEUR DE NEUILLY-SUR-SEINE
C’est le jeudi 18 novembre 2021 que les « pastoriens » (anciens élèves du lycée Pasteur de Neuilly- sur- Seine) ont célébré le centième anniversaire de leur association.
Celle-ci avait été créée le 14 juin 1920, soit six ans après l’inauguration de ce lycée flambant neuf à l’époque. Il a été magnifiquement rénové pour son centenaire en 2014.
C’est en raison de la crise sanitaire que la célébration de cet anniversaire, initialement prévue en 2020, a été retardée d’une année.
Pour marquer cet évènement, le Conseil d’Administration de l’AAELP, présidé par Frédéric Blancpain, a organisé dans la salle de conférence du lycée, aimablement mise à disposition par le Proviseur, Monsieur Pierre Carbajo, un récital de piano.
Après les allocutions d’usage, c’est le grand pianiste international, Pierre REACH, qui, pour l’occasion, nous a interprété trois sonates de Ludwig van Beethoven (dont l’année 2020 correspondait aux 250 ans de sa naissance).
Pierre Réach est lui-même un ancien élève de Pasteur et c’est avec beaucoup de joie et une grande émotion qu’il a retrouvé le décor de ses jeunes années. Ajouté à ses qualités techniques, ce contexte a donné une sensibilité particulière à son interprétation, sensibilité fort appréciée par ce public « familial ».
Nous lui sommes très reconnaissants de nous avoir offert ce généreux cadeau.
Cette soirée chaleureuse adonné envie à de nombreux anciens de se retrouver plus souvent dans ce cadre, souvenir de leur jeunesse, …ou ailleurs !
Jean ALECIAN, Président honoraire de l’AAELP
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éNotes d’un pianiste confiné*
Nous vivons actuellement une période étrange : Depuis de longs mois, comme pour répondre au manque de projets, je pratique le même rituel, lever tôt le matin, marche à pieds de trente minutes, petit déjeuner, et je « me mets au piano ».
La position physique du pianiste est d’ailleurs assez routinière, il est comme « vissé » à son tabouret, dans un endroit soigneusement choisi dans la maison, et pendant des années, c’est assis à la même place, dans la même constellation d’objets, de meubles, de tableaux sur les murs, qu’il doit essayer de tout oublier et de se concentrer sur des partitions qu’il répète chaque jour.
Cette répétition, ce « ruminement » pourrait-on dire n’est certes pas du tout appauvrissant, bien au contraire ; la répétition, lorsqu’elle est bien faite avec amour ouvre à chaque nouvelle strate des perspectives inattendues et on répète, mais toujours différemment.
Sergiù Celibidache disait si bien que toute répétition, même celle d’une simple note de musique crée un nouvel espace. La répétition est la base de tout travail musical, d’abord infiniment lente afin de donner au cerveau et aux doigts la possibilité d’assimiler tous les détails de la partition. Les difficultés s’estompent peu à peu et s’installe alors une « libération » mentale et physique, et l’interprétation commence…celle-ci étant comme le miroir de l’œuvre entendue à travers le prisme de la personnalité, du goût et évidemment du talent de l’interprète.
Arthur Rubinstein disait que « les interprètes n’ont que le talent, ce sont les compositeurs qui ont le génie ». Mais c’est certain qu’il faut une grande habileté et une longue expérience pour jouer convenablement, dans le respect du texte, du style, et l’esprit universel des œuvres.
Eh bien, pendant ces longs mois de solitude due au confinement, et ayant de mon mieux, comme chaque musicien digne de ce nom, essayé de suivre ce rituel fait de discipline, de respect et d’amour pour la musique, j’écris ici non sans nostalgie ni tristesse que tout cela n’est que lettre morte, et que toutes mes si « bonnes intentions » manquaient cruellement de ce qui fait la sève du bonheur du musicien, la présence d’un public et « l’échéance » fixée du concert.
Combien ai-je souffert ces longues semaines de travailler les œuvres sans « me » préparer au concert, sans dates définies (même si elles font parfois figure de redoutable ultimatum à être prêt !), sans pouvoir redouter la présence d’un public qui juge absolument tout, même si on a besoin de lui et je me suis toujours demandé s’il faut absolument être écouté par quelqu’un pour être heureux dans la musique. Ce confinement m’a une nouvelle fois confirmé que la réponse est évidemment « oui ».
Et pourtant tout ce qui « touche » au concert n’a souvent rien à faire avec la musique elle-même: Parler avec son agent, discuter du voyage, du cachet, inviter quelques personnes amies ou dites « importantes », sentir l’approche de la date fatidique du grand soir comme une menace sur soi-même (faudrait-il décidément être un peu masochiste pour faire ce métier!), le plaisir de s’habiller et se préparer pour jouer, tout cela on n’y pense pas consciemment dans le travail quotidien parce qu’il s’agit de l’environnement même du musicien. Son piano est comme flottant dans ses rêves, ses interrogations, ses peurs, et il voyage avec lui, en dehors et loin des meubles et décors de son habitation. C’est bien pour cela que les « après concerts », lendemain et jours qui suivent sont si douloureux : on est vidé, tout a disparu et on a l’impression d’avoir atterri dans un désert.
En fait l’artiste n’est de nulle part, il vit seulement dans ses songes et le confinement, comme une redoutable force de gravité verticale, ramène inexorablement le musicien à une réalité seulement terrestre pourrait-on dire, où tout rêve demeure désormais interdit.
Ce n’est donc pas seulement le virus qui risque de tuer, c’est le fait de ne plus pouvoir rêver et ne reste que la froide obligation de compenser ce manque par un approfondissement et une introspection encore plus intenses mais terriblement lourds et éprouvants.
Pendant cette « résilience forcée » qui est la conséquence de ce que j’ose tout de même appeler un traumatisme pour un musicien, il m’est arrivé d’imaginer en jouant un concert « virtuel » (c’est le cas de le dire !), chez moi tout simplement où j’aurais « supplié » un être de mon choix, proche ou moins proche, de venir m’écouter. Il me fallait tout donner, lui offrir un concert, et plus du tout question de gain ou cachet, tristes apanages d’un métier qui n’existe plus. Il ne me fallait que jouer, jouer le plus possible comme si je pouvais faire reculer les tentacules noires et empoisonnées de cet horrible confinement.
Boris Cyrulnik a génialement expliqué que c’est peut-être le manque de confort, de projets, finalement la pauvreté qui nous forcent à relever les défis en nous posant à nous-mêmes des obstacles par un travail acharné, comme s’il fallait revivre et cette fois en se montrant plus utile. C’est vrai que dans mon travail des derniers mois, j’ai ressenti comme jamais le besoin de lutte, de prouver quelque chose, pour ne pas sombrer dans une sorte de dépression.
Quand mes concerts se sont brusquement arrêtés en mars 2020, j’avais pensé, je l’avoue, « finalement à quoi bon ? et pour quoi ? Ce confinement est une épreuve de courage, pour le système émotionnel de tout être et nous relie plus que jamais à notre condition humaine de travail et de quête pour accéder à des mondes pas tout de suite permis.
À nouveau sur scène quand les concerts reprendront, je pourrai mesurer si mon travail et ma persévérance dans la solitude m’auront aidé à partager plus encore le bonheur de la musique. Je ne sais encore aujourd’hui ce que je ressentirai sur l’estrade, après tant de mois d’absence et de privation du public, mais je continue à m’y préparer dans un sentiment fait d’espérance et de simple bonne volonté.
Mais quel bonheur d’avoir Beethoven en de tels moments, on a parfois l’impression qu’il vous surveille et vous prend par la main pour vous aider à continuer. Dans son écriture, se trouve une dynamique très fréquente qui est l’une de ses caractéristiques : C’est le « Crescendo-piano ». Mais pourquoi un crescendo mènerait-il à un piano ? Eh bien ce crescendo ne peut aboutir, il débouche sur une impasse et c’est « un nouvel instrument » qui débute, dans la nuance piano, un nouveau départ en quelque sorte comme après une limite infranchissable.
De même, l’épreuve actuelle, au-delà de toutes ses victimes et malheurs, ne s’avérerait-elle pas pour chaque musicien une possibilité, lors d’un retour (comme dans la Sonate Les Adieux), de revenir après un moment si lourd et triste avec une Joie renouvelée.
Pierre Réach
Janvier 2021
- La Revue Française de Psychosomatique a publié ce billet dans son numéro de juillet 2021
LE LENDEMAIN D’UN CONCERT…
par Pierre REACH
Je suis pianiste concertiste et viens de donner un récital au Lycée Pasteur, dans sa salle de conférence pour fêter le 100e anniversaire de l’Association des Anciens Elèves.
Au programme trois des plus célèbres sonates de Beethoven dont je prépare actuellement l’enregistrement de l’intégrale.
Dès le lendemain de ce concert, ô combien émouvant pour moi (j’y avais été élève de 1958 à 1965), j’ai reçu une invitation à écrire quelques lignes sur ces années passées à Pasteur, ce que je fais donc ici, et pour moi cela n’est certainement pas un hasard. Depuis que cette date du récital avait été fixée, très exactement au 18 novembre 2021, je m’interroge sur ce vécu de mes jeunes années dans ce lycée, ces années de satisfactions et de souffrances aussi, d’apprentissages multiples, et comment tout cela s’est « connecté » à ma vocation de musicien « je suis bien obligé d’employer ici ce mot de vocation car je n’étais tout de même pas fou ou inconscient au point de me lancer dans une carrière dont la direction est pour ainsi dire opposée à tout parcours scolaire normal et bien mené.
Mais il arrive de se rendre compte que les grandes décisions ne se prennent pas toujours…
Les faits sont pourtant là: j’ai été lauréat de cinq concours pianistiques internationaux, je suis aujourd’hui professeur honoraire du conservatoire de Paris, professeur actif à l’ecole Superieure de Musique de Barcelone, professeur Honoris Causa du Conservatoire supérieur de Shanghai, directeur artistique de trois festivals, et concertiste dans plusieurs pays même si ces derniers mois les voyages furent restreints en raison de la pandémie, et je dispense dans plusieurs pays des masterclasses bien suivies.
Quand j’étais petit, mes parents, bien qu’adorant la musique et épris de culture ne voulaient pas entendre parler du Conservatoire avant le baccalauréat depuis que le grand Marcel Beaufils, qui avait été un de mes professeurs d’allemand au Lycée et que je devais retrouver comme professeur d’esthétique musicale plusieurs années plus tard au Conservatoire de Paris les avait mis en garde devant les dangers d’un métier qui « ne rapporte rien » et avait fait frémir ma mère citant l’exemple d’un pianiste devenu, je cite ses mots « veilleur de nuit à la Place des Ternes »! Ce furent donc les classes à partir de la 6eme, j’étais celui qui chantait juste, qui « faisait du piano », et c’est vrai, dès mes devoirs pour l’école terminés, je courrais au piano me préparer pour la prochaine leçon de la célèbre Yvonne Lefébure, professeur au Conservatoire national supérieur de musique de Paris, et qui voulait m’avoir dans sa classe.
Je souffrais littéralement, courant de mes devoirs de maths au piano et il n’y avait pas à l’époque les Horaires aménagés pour les jeunes musiciens.
Mais rien n’y faisait : il me fallait ce fichu baccalauréat avec aussi toutes ces sommes de connaissances superficielles ( je me rappelle un professeur d’histoire qui au mois de mai nous disait « il nous reste un mois pour « faire la Chine »), aujourd’hui totalement périmées et oubliées.
D’autres professeurs convoquaient ma mère au parloir pour leur dire que son « petit Pierre » pouvait mieux faire et qu’il ne fallait pas qu’il consacre « trop de temps aux arts d’agrément »…
Bref je n’étais pas toujours heureux dans les murs de ce grand et bel établissement, j’étais parfois la risée de mes jeunes camarades qui me voyaient différents d’eux-mêmes, se moquaient de moi et de ce fait je restais assez isolé et livré à moi-même.
Un professeur de mathématiques en terminale me criait « Mais la lettre Pi Seigneur, vous connaissez? » et je me souviens encore de ce mot « Seigneur » qui tant de fois glaçait mes oreilles!. Ces années étaient pour moi une sorte de lutte contre moi-même et je n’avais que peu d’amis.
Aujourd’hui je me rends compte que pris en tenailles entre cette scolarité qui se voulait et devait être « normale » et les sirènes et rêves d’une entrée possible au Conservatoire de Paris (j’allais régulièrement écouter les concerts de Wilhelm Kempff et plein d’autres célèbres artistes qui me faisaient rêver) , je n’ai pas eu de jeunesse et ai porté en moi ces deux directions distinctes, bien qu’elles ne fussent jamais parallèles, mais plutôt adverses comme deux aimants qui se repoussent, l’une ne voulant rien savoir de l’autre.
Et pourtant!
Que de merveilleux professeurs avais-je eus tout au long de ces années, je me souviens de Madame Letrone , éminent professeur de mathématiques qui nous avait initiés à l’astronomie, Michel Arondel professeur d’histoire et géographie qui était une encyclopédie vivante et d’une intelligence hors du commun, Marcel Beaufils en allemand, Mr Bouchareigne en philosophie, et plein d’autres qui sans le vouloir vraiment nous façonnaient non seulement par ce qu’ils nous apprenaient mais par la manière qu’ils le faisaient.
C’est vrai que parfois il y avait des déceptions tels ce professeur de français-latin qui au début de la classe nous « collait » une bonne version latine trop difficile et avait ainsi la paix pendant une heure pour lire…ses journaux.
Mais quelle culture ils avaient tous, quelles difficultés aussi car si j’étais moi-même un élève « rangé » et sans doute bien élevé, il y en avait aussi qui criaient, faisaient du désordre dans la classe et trainaient les pieds.
La question que je me pose depuis mes jeunes années et jusqu’à aujourd’hui où j’ai la chance de pratiquer mon art et d’avoir pu faire mes preuves non seulement professionnellement mais aussi comme père de deux enfants magnifiques, cette question dis-je n’aura, je le pense, jamais de réponse: Avais je besoin d’un isolement, d’être différent des autres de par ma personnalité, et me serais je alors « réfugié » dans la musique pour accéder à cette « zone de confort » qui m’eut convenu ? Ou bien cela aurait-il été plutôt la musique que je portais en moi qui m’aurait imposé ces renoncements et ces privations d’une jeunesse normale en me contraignant à un apprentissage musical et pianistique acharné et sans répit ?
Je terminerai en disant ici que j’aime remuer en moi cette question, un peu celle de ma vie, qui n’aura jamais de réponse, car, sans doute, c’est un peu les deux…mais cette interrogation prouve bien que je dois beaucoup au grand et magnifique Lycée Pasteur, car, même si j’y ai eu quelques problèmes et difficultés personnelles, c’est un peu grâce à lui et aux années passées dans son espace que j’ai pu me dévoiler à moi-même, et sans doute trouver la voie difficile mais si belle qui fut la mienne.
André Gide n’a t’il pas écrit:
« L’art nait de la contrainte, vit de luttes et meurt de liberté ».
Pierre Réach, Novembre 2021
www.pierre-reach.com